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Les tomes I et II de la saga, le songe assassiné


 

"Il n'a pas voulu que les gens, qui ont "fait" Chiffalo, sombrent, injustement, à jamais dans l'oubli."

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NOCES DE BAB EL OUED A TIPASA (Source l'Algéroise)
Toutes les bourgades traversées déclaraient avec fierté leur union à la mer: Daouda-Marine, Fouka-Marine, Castiglione et son aquarium. Un sardinier de retour de pêche avec des hommes affairés sur un monticule de filets, franchissait la passe du port de Chiffalo suivi par les cris d'une nuée de mouettes rieuses affamées. Le spectacle maritime sur notre droite, ne nous faisait pas perdre une miette de la vie rurale qui défilait sur notre gauche, de l'autre côté de la route. La plaine côtière se découpait en damiers successifs de terres cultivées de légumes et d'agrumes protégées de claies de roseaux et d'espaces caillouteux tapissés de buissons épineux, d'acacias sauvages et de végétation jaunie par la sècheresse. Quel contraste avec les jardins d'hibiscus rouges et d'iris bleus au centre des villages où la profusion de roses accrochées aux façades donnait aux maisons des allures de chars en compétition pour un corso fleuri. La seule ombre au tableau de ce florilège d'images qui donnait à l'été ses couleurs de vacances, c'était l'usine des ciments Lafarge qui dressait dans le ciel de longues cheminées fumantes, juste dans la descente après le Casino de la Corniche en direction d'un petit joyau qui avait pour nom: la Pointe Pescade.Mieux que dans un film, la bobine déroulait une magnifique pellicule de scènes et d'images avec en prime les couleurs de la réalité. A Zéralda, près des Sables d'Or, un groupe de travailleurs échangeaient des rires complices et se désaltérait sous le jet d'une gargoulette à l'ombre d'un caroubier. Un peu plus loin, à la sortie de Tefeschoun, un char à banc se frayait un passage chaotique dans les ornières d'un chemin de terre et transportait des ouvriers agricoles enturbannés dans les champs. A l'orée du village de Bouharoun réputé pour son eau minérale,en bordure d'un champ de céréales, une moissonneuse-batteuse dissimulée dans un nuage de poussière, crachait en saccade des fumées pétaradantes et alignait alternativement sur le côté une botte de paille et un sac de grains. Un peu plus loin, dans les rangs de vigne qui épousaient la pente d'un coteau, un chasseur, fusil en bandoulière, dans le pas de ses chiens, avançait à découvert dans les mottes de terre encore humide de rosée. Partout des collines boisées de chêne-liège et de pins maritimes, jouaient à saute-mouton de loin en loin dans la découpe du ciel immaculé; elles préservaient un peu d'ombre dans la fournais de cet été interminable traversé pr la stridence des cigales. En somme, de notre car transcendé par la liesse enfantine, nous assistions à rien de plus qu'à des moments de vie bannale qui faisaient notre Algérie et dans laquelle on était si bien. Comme dans n'importe quelle région du monde, une journée ordinaire chez nous, ne pouvait se défaire de l'ambivalence humaine à la fois fraternelle et égoïste où charme et disgrâce s'accorde avec pile ou face. Seulement voilà, dès les prémices du printemps la nature qui se pomponnait des couleurs de l'arc-en-ciel, nous ennivrait d'Algérie. Les amandiers en fleurs badigeonnés de crème fouettée ouvraient le bal des émotions et la campagne dans un sursaut d'imagination répliquait avec les tâches rouge-sang des coquelicots qui, sous l'impulsion de la brise, dansaient au rythme d'une danse espagnole. Le ballet de jouvence se poursuivait avec le jaune cérémonie des boutons d'or qui scintillaient sous les rayons de midi comme des lucioles virevoltantes dans l'obscurité de la nuit. Le souffle d'un air tiède ondulait les tapis fleuris disséminés sur la nappe blonde des blés dans un mouvement perpétuel de va et vient tels le flux et le reflux de la vague le long de la grève. On pouvait penser que le Grand Architecte de l'Univers, artiste-peintre à ses heures perdues, sublimait ses émotions en gambadant sur la terre de chez nous. Le vent vorace inspirait à pleins poumons l'envol des pollens et restituait avec générosité l'odeur des roses, du jasmin et du romarin qui s'imposait ici comme une marque de fabrique. Les coins enchanteurs de cette Côte Turquoise se succédaient telle une pièce de théâtre en plusieurs tableaux où, les spectateurs charmés espèrent que la fin n'arrive jamais pour ne pas détruire le rêve éveillé qui les régalait. De criques tourmentées d'à-pics aux étendues de sable fin parsemées d'algues séchées, de vignes aux raisins muscat gorgés de sucre aux champs labourés de sillons à perte de vue, nous fûmes brusquement saisis dans le lointain entre Marengo et El Affroun, par des alignements d'orangers, de clémentiniers et d'oliviers qui brodaient la plaine de la Mitidja. Soulevant dans l'autocar de l'admiration:"C'est immense, ça nous change du Beau Fraisier et de la Campagne Jaubert". Enfin, Tipasa parfumée d'iode nous apparu dans un havre de beauté prodigieux bordé en tout lieu par le bleu nacré de la mer. Sur la gauche fermant l'horizon, le massif du Chenoua dressé en bouclier, préservait le port des caprices du vent qui désormais, forcissait et moutonnait la crête des vagues venant du large, d'un diadème de première communiante. Nous étions cloués d'émerveillement comme devant un cadeau de Noël. Nous nous apprêtions à visiter un patrimoine de ruines et de monuments anciens figé dans un écrin de verdure que les "colonialistes" Romains ( citation que les Berbères Chrétiens et juifs ont dû employer à l'époque, non?)laissèrent à la postérité dans notre pays. L'excursion se fit au pas de course sous le chant stridulant des cigales que le vent colportait en blanchissant d'écume les caps de Ste Salsa et du Forum. Les oiseaux en concert répliquaient leur partition à à la cime des arbres, créant une ambiance de gaîté et de joie. Dans ce site majestueux embaumé des parfums d'armoise et de lentisque, les Dieux romains avaient probablement été eux aussi éblouis et fascinés par tant de beauté. N'étaient-ce pas des noces qui se célébraient aujourd'hui entre l'innocence de ces enfants venus de Bab el Oued et l'attrait sublime de cette nature éternelle. Quelques années auparavant un jeune écrivain promis à un brillant avenir, Albert Camus, avait écrit:"Noces à Tipasa" comme un cri d'amour à toutes ces merveilles qui nous entouraient. Nous suivions Monsieur Benhaïm qui s'efforçait de nous intéresser à l'histoire de la Catacombe des Evêques, du Mausolée Circulaire, de la Grande Basilique Chrétienne, des Grands Termes et de l'Amphithéâtre. Notre imagination sans borne nous faisait entendre les eaux de la Cascade de Nymphée et les cris de la foule enthousiaste dans le Petit Théâtre où le premier spectateur était la mer. Nous apprîmes en fanchissant les portes des ramparts protégeant la ville qu'à cette époque, Alger s'appelait Icosium et Cherchell: Césarée. La pause pique-nique se fit sur un quai du port où nous partageâmes "omblettes de pon de terre", "cocas à la frita", "casse-croûte à l'huile frotté d'ail" arrosé d'un "sélecto Hamoud Boualem" et d'une limonade "Dédé". Et l'incroyable c'était que le banc de pierres sur lequel on déjeunait avait mille huit cents ans. Nous formions un cercle attentif autour de notre maître d'école qui mêlait le geste à la parole pour mieux expliquer les évènements historiques de la période romaine. Ce la n'empêchait pas les rangs arrières de se distraire, le nez levé au ciel pour suivre un vol noir d'étourneaux qui passait, ou cueillir à la hâte une poignée d'arbouses sucrées dans les genêts et les jujubiers sauvages qui jalonnaient le parcours. Monsieur Benhaïm nous expliqua que notre pays avait subit depuis ses origines, un mélange extraordinaire:" Mes enfants, nous dit-il, les véritables ancêtres de l'Algérie sont les Berbères; ensuite se succédèrent des colonialistes de tout le bassin méditerranéen: Phéniciens, Numides, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes, Espagnols, Turcs et enfin nous les Français." Mélot provoqua des rires en lançant:" Qui prendra le tour suivant?" La journée à Tipasa s'acheva par un léger détour à travers des champs plantés d'amandiers qui nous mena dans une solitude sauvage au sommet d'une butte où trônait un tas de pierres architectural et impressionnant: le Tombeau de la Chrétienne. Une réalisation de l'époque barbare qui témoignait des hautes valeurs du peuple Berbère. Le retour fut tout autre. Finie la chorale impromptue qui ébranlait le car ce matin avec des "Plus vite chauffeur, plus vite chauffeur, plus vite."La fatigue était passée par là, et le ronronnement du moteur accompagnait la somnolence générale qui s'était emparée du groupe avant Bérard. Plongés dans la léthargie qui avait calmé les plus loquaces, nous revisitions dans nos pensées la page d'histoire de notre pays que nous venions de découvrir dans les pins et les tamaris aux troncs torsadés par le vent. Nous ne pouvions nous défaire de l'aquarelle de bleux lumineux accouplés à l'ocre des monuments qui s'était incrustée dans nos mémoires. Les pierres dressées, les arches, les arceaux et les colonnes Toscanes surmontées de chapiteaux à feuille d'acanthe qui encadraient l'horizon et la mer, formaient d'incroyables tableaux suspendus aux cimaises de la féérie pour l'éternité. A l'arrivée devant chez "Coco et Riri", Papparlado annonça:"Icosium,Icosium, dernier arrêt, tout le monde descend" et les éclats de rires rappelèrent à nouveau la joie de vivre qui nous collait à la peau. Après tant d'années,surtout les jours gris sous la pluie, je repense souvent à cette admirale balade de lumière avec les camarades du CM2 sur la Côte Turquoise. La fresque sur Tipasa imprimée à jamais dans ma mémoire resurgit dans mes nuits agitées par ma "nostalgérie": la crête des vagues blanchies par le vent, le chant des cigales, l'odeur du jamin et de l'armoise, les accents et les amitiés. Je retrouve intacte la bravoure et l'humanité de Monsieur Benhaïm, qui ce jour là avait délaissé son habit guindé d'instituteur pour devenir le père et l'ami de tous les élèves. Vous imaginez l'émotion lorsque six ans plus tard, ayant intégré l'Education Nationale, je recevais ma nomination d'enseignant pour l'école de la rue Léon Roches dans le quartier qui m'avait vu naître. Je frappais à la porte du bureau du Directeur pour me présenter. Je n'imaginais pas une seule seconde, que le Chef d'Etablissement qui allait m'accueillir était Monsieur Benhaïm, le maître du CM2 qui avait contribué à célébrer mes noces indéfectibles avec Tipasa. Je retrouvais l'homme qui ne parlait pas avec sa bouche, mais uniquement avec son coeur. L'étreinte et l'émotion furent à la hauteur de l'estime que nous nous portions.

 

LE CINEMA AMBULANT (texte Max Teste) Les jours heureux source http://gagomez.chez-alice.fr/attatba/les_jours_heureux/dimanche.htm#le%20cinema%20ambulant
Comme la plupart des villages, Attatba ne possédait pas de salle de Cinéma permanente et il fallait, lorsqu'on voulait voir un film récent, se rendre à Blida qui en possédait plusieurs; c'est là que nous avons pu voir, entre autres, les premières grandes productions en Cinémascope : la Tunique, puis les Dix Commandements, Guerre et Paix, etc. Mais grâce à " Moustic ", nous n'étions pas totalement démunis. C'était le surnom du projectionniste ambulant qui venait, tous les quinze jours, donner une séance dans la Salle des Fêtes du village. Il apportait son propre matériel de projection et ses bobines et aménageait la salle à sa façon ; il tendait en particulier, tous le long des murs, des couvertures, dont le rôle était certes de masquer les fenêtres, qui laissaient passer trop de jour, mais aussi d'améliorer l'acoustique de la pièce qui n'avait pas été particulièrement étudiée. Son répertoire était restreint et les films repassaient régulièrement ; notre mémoire d'enfant se souvient de ceux qui nous ont le plus marqués ou que nous avons peut être revus le plus souvent : Zorro, le Dernier des Fédérés avec Allan Lad, les aventures de Bud Abott et Lou Costello, une pale copie de Laurel et Hardy ou bien encore la Chose, un des premiers films d'horreur. Dans la salle, l'ambiance était tout à fait particulière, avec un public jeune, Arabes et Européens confondus ; les premiers faisaient provision avant la séance de bouteilles de gazouz (limonade) ou de Sélecto (une sorte de Coca-Cola de fabrication locale) et de cornets de cacahuètes dont ils sont très friands et qu'ils consomment à toute heure du jour (à preuve la multiplication des points de vente à la sauvette dans les couloirs du métro parisien aujourd'hui). Monsieur Amar, l'un de nos deux gardes-champêtres, avait la lourde tâche d'y faire régner l'ordre, et il s'en acquittait d'ailleurs fort bien. Vêtu de sa tenue kaki et coiffé de sa chéchia rouge, il était armé d'un long roseau avec lequel il frappait énergiquement sur la tête de ceux qui vivaient trop intensément les aventures projetées, qui évacuaient trop bruyamment les bulles de la gazouz ou qui manifestaient leur mécontentement lors des nombreuses ruptures de pellicule dues à l'état d'usure des films. Et puis un jour, le Cinéma de Moustic s'arrêta, la salle des fêtes fut transformée en Gendarmerie, sécurité oblige; c'était la fin des jours heureux ! Un certain nombre d'entre nous, continuèrent cependant à fréquenter ce lieu comme centre de loisirs, en allant y jouer à la belote avec les deux gendarmes de garde ! Mais ceci est une autre histoire !

NB Les anciens se rappelleront de Moustic qui venait aussi à Chiffalo

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