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Retour à Chiffalo de (et par) Jean de Chiffalo (Le Provençal -19/02/1989)
La paix en Algérie

Depuis l'âge de douze ans, jamais Jean de Chiffalo n'avait remis les pieds en Algérie où il est né. Il est retourné dans le village dont il a pris le nom en souvenir d'une enfance perdue. Un pèlerinage à la fois volontaire et contraint, furtif, sur la route d'Albert Camus. Pour trouver la paix…

J'avais fui la nuit d'Europe, l'hiver des visages. Mais la ville des étés elle même s'était vidée de ses rires et ne m'offrait que des dos ronds et luisants. Le soir, dans les cafés violemment éclairés où je me réfugiais, je lisais mon âge sur des visages que je reconnaissais sans pouvoir les nommer. Je savais seulement que ceux-là avaient été jeunes avec moi et qu'ils ne l'étaient plus.
Je m'obstinais pourtant, sans trop savoir ce que j'attendais, sinon, peut-être le moment de retourner à Tipasa". (Camus: Retour à Tipasa)

Enfant de Chiffalo, Jean de Chiffalo n'était jamais retourné dans son village natal. Ce village même auquel il a emprunté son pseudonyme d'écrivain et de journaliste, en y ajoutant le prénom de son grand-père. Sur son livre, il l'a même écrit en sicilien. Parce que ses racines les plus lointaines viennent de l'île qui fait la jonction entre l'Europe et l'Afrique. L'île de tous les métissages, des invasions multiples et des cultures unies. Il a pensé revenir dans sa ville natale durant des années. Sans jamais oser. Sans avoir le courage d'affronter son passé et celui des siens, de regarder le drame de sa famille en face. Le temps est passé, les plaies se sont doucement refermées. Le bout du chemin était arrivé. Avec son oncle et son cousin, il a décidé d'y aller, le moment était venu. Direction l'Algérie, pour un séjour de huit jours à Tipasa. Avec en point de mire Chiffalo. Un pèlerinage amer. Mais aussi l'occasion de trouver enfin la paix... Dans son carnet de voyage, il a noté ses impressions, ses joies, ses douleurs. Emotion. Et pudeurs.

"Dans cette lumière et ce silence, des années de fureur et de nuit fondaient lentement. J'écoutais en moi un bruit presque oublié, comme si mon coeur, arrêté depuis longtemps, se remettait doucement à battre. Et maintenant éveillé, je reconnaissais les bruits imperceptibles dont était fait le silence: la basse continue des oiseaux, les soupirs légers et brefs de la mer au pied des rochers, la vibration des arbres, le chant aveugle des colonnes, les froissements des absinthes, les lézards furtifs. J'entendais cela, j'écoutais aussi les flots heureux qui montaient en moi. Il me semblait que j'étais enfin revenu au port, pour un instant au moins, et que cet instant désormais n'en finirait plus". (Camus: Retour à Tipasa}.

Je ne comprends pas, je ne comprends plus: l'occasion se présentait enfin. Grâce à un organisme culturel qui proposait un séjour organisé en Algérie, j'allais réaliser un rêve longtemps caressé: revoir ma terre natale.
A l'aéroport de Marignane, je ne pensais pas encore à Chiffalo, le village qui m'a vu naître. L'appréhension de prendre l'avion, mais aussi la crainte de flancher sur le sol algérien retenaient mes pensées. Pourrais-je contenir mes larmes?
Mes doutes n'allaient pas tarder à se confirmer. En effet, quand une heure trente plus tard, le commandant de bord annonce dans un haut-parleur le survol d'Alger, mes battements de coeur s'accélèrent, ma gorge se serre.
Mon oncle et son fils font également partie du voyage. Je suis le premier à descendre de l'Airbus d'Air France qui s'est immobilisé face à l'aéroport ce la Maison Blanche appelée maintenant "Houari Boumediene".
Je n'ai aucune réaction, mais lorsque, de l'intérieur du mini-car qui assure les navettes, je vois mon oncle, les larmes aux yeux, descendre la dernière marche de la passerelle et se baisser pour embrasser le sol, comme le fait couramment le pape Jean-Paul II sur une terre étrangère, ma gorge se noue davantage et je dois soutenir un important effort pour ne pas pleurer.
Je porte des lunettes que j'ai achetées la veille, au grand étonnement du commerçant qui sait la saison estivale terminée. J'ai effectué cet achat dans un but prémédité: rendre discrète ma peine.
Tant bien que mal, je retiens mes larmes, mais il aurait été peut-être préférable de laisser libre cours à ma détresse, cela m'aurait soulagé. Nous nous présentons à l'agent de police chargé de viser nos passeports. Son visage, aggravé par une fine moustache, ne m'inspire pas confiance, il me rappelle de mauvais souvenirs vécus dans les années 60. Mais tout se passe bien, je me suis un instant inquiété pour rien.
Après les formalité de douane, nous sommes accueillis à la sortie par l'agent de liaison de la société de voyage organisatrice. C'est une femme européenne, charmante et dynamique. Elle nous dirige vers un mini-bus qui démarre aussitôt La circulation est intense, nous roulons lentement Mon cousin âgé de 40 ans en profite pour reconnaître beaucoup de lieux. Moi, au contraire, je ne me rappelle de rien. Il est vrai que dans le temps je ne me suis rendu à Alger qu'une dizaine de fois et j'avais seulement 12 ans lorsque je suis parti d'Algérie.
Les commentaires de mon cousin révèlent beaucoup de souvenirs mais semblent friser l'indifférence. Je redoute ce même effet lorsque je reverrai Chiffalo, moi qui crains l'envahissement de frissons... C'est le port de l'amirauté qui déclenchera cette sensation, car notre départ en 62 avait été épouvantable et il est encore ancré dans ma mémoire.
Nous arrivons à Chiffalo. Le village se nomme maintenant Port Khimisti. Gentiment mon oncle demande au chauffeur de s'arrêter devant le cimetière situé en bordure de la nationale. Mais il est ferm éet nous ne pouvons y entrer. Le conducteur, prévenant, propose alors de nous "descendre" à Chiffalo.
Dès lors, tout va aller très vite. Je n'ai pas le temps de regarder le site qui n'a pas changé, ni le temps de laisser mon coeur se serrer aux abords des premières maisons qui m'ont vu naître que nous sommes assaillis par les villageois qui nous ont reconnus.
L'accueil est fraternel et sincère, leurs propos dénotent un regret certain de notre fuite.
Mon oncle reconnaît ses anciens marins qui, incessamment lui donnent des tapes dans le dos en signe d'amitié. Je pense à mon père qui, très sensible, n'a pas voulu nous accompagner. La disparition de ma mère en 76 en est en grande partie la cause. Il n'a pas voulu aller au devant des souvenirs sans elle.
Mon cousin reconnaît également ses anciens camarades de classe. Au même moment je m'entends interpeller par mon prénom: c'est un homme de mon âge, son visage me revient. Je l'avais côtoyé dans la classe du CM2 mais je ne me rappelle plus de son nom.
Nous nous serrons chaleureusement la main. Et là, je ne comprends pas, je ne comprends plus: Comment cette guerre qui nous a éloigné d'Algérie a-t-elle pu naître?
Le chauffeur s'impatiente. Les villageois nous promettent alors de venir nous chercher le lendemain à l'hôtel. Nous nous saluons et nous prenons la route pour Tipasa, non sans avoir jeté un coup d'oeil à l'église, maintenant une mosquée que nous n'avons, faute de temps, visitée.
Quelques heures plus tard, un algérien, Khader, un camarade de classe de mon cousin qui n'avait pu nous rencontrer à Chiffalo, vient nous trouver à l'hôtel de la Baie, accompagné d'un ami. Les témoignages d'amitié qu'ils nous apportent sont sincères. Si des moeurs différentes peuvent séparer deux êtres, la franchise, elle, peut noyer leurs défauts.
Il est tard, après nous avoir invité à déjeuner pour le lendemain, ils s'empressent de nous laisser récupérer des fatigues du voyage.

Je reconnais ma maison, ou plutôt non, je ne la reconnais pas:
[...] Les larmes que j'attendais depuis l'aéroport se décident à voiler mes yeux, lorsque je reconnais sur le mur, près de l'ancienne entrée, un motif confectionné de coquillages de mer: il avait été réalisé par mon grand-père, il est maintenant recouvert d'une épaisse couche de peinture.
Les enfants qui affluent de toutes parts, nous assaillent. Je leur tourne discrètement le dos pour effacer les larmes que camoufflent mes lunettes.
Mon oncle a compris.
"Ça fait mal, hein?" me dit-il d'une voix enrouée.
Les occupants nous autorisent à entrer dans le jardin. Je constate alors alors que mes souvenirs sont en contradiction avec la réalité. Je croyais la cour immense, elle est seulement grande, la maison semble plus petite, le figuier, lui, a triplé de volume. Tout a changé.[...]
Ils me permettent de couper une branche, exauçant ainsi le souhait de mon père qui désire un souvenir de son jardin. Une fois en France, je le planterai dans le jardin de mon frère car moi-même n'en possédait pas à l'époque et ce fut longtemps mon plus profond regret.
Je jette un dernier coup d'oeil à l'école puis au port où près de la passe, je peux apercevoir des oursins agglutinés presque comme des grappes de raisin.
Je rejoins mon cousin qui discute avec un vieil algérien surnommé Dégourdi(*), ami de mon grand-père et de beaucoup d'autres européens. Celui-ci explique comment réussir une greffe de végétaux.
Mon grand-père possédait autant de connaissances que lui. Je regrette tant qu'il n'ait pu me les transmettre car j'aurais pu, à mon tour, prodiguer des conseils à mes enfants. Aujourd'hui, il me manque.
(*AMI MOH alah yerhmo)

Vingt ans déjà, que de bonheur perdu:
[...]Après avoir dégusté des crevettes dans un petit restaurant de la Madrague, nous nous dirigeons à notre grande joie vers Chiffalo.
Nous nous arrêtons près de la place principale où un groupe d'Algériens s'adonnent aux joies de la pétanque. Eh oui, on ne joue pas seulement à Marseille! Ils arrêtent leurs jeux et nous proposent une rencontre amicale. Ils savent que mon père a été deux fois champion d'Algérie et aimeraient savoir si je suis de la même trempe que lui. Non, je ne le suis pas tout-à-fait mais, néanmoins, nous les battrons.
La nuit a enveloppé le village. Les lumières de la place s'allument faiblement. Je gonfle mes poumons pour aspirer cet air parfumé d'iode. J'entends les vagues, je les imagine. Je me sens bien. Vingt ans déjà! Que de bonheur perdu. [...]

A bientôt, dans la suite de mon roman : http://jeandechiffalo.free.fr/lesongef.html


Le figuier que Jean de Chiffalo a ramené d'Algérie
(Photo JMP)

Les villageois nous promettent alors de venir nous chercher le lendemain à l'hôtel. Nous nous saluons et nous prenons la route pour Tipasa, non sans avoir jeté un coup d'oeil à l'église, maintenant une mosquée que nous n'avons, faute de temps, visitée.
A 10 heures, le lendemain, khader, au volant de sa Renault 20, accompagné de Morhamed, vient nous chercher à l'hôtel. Il nous propose de visiter Bou Haroun, un autre village de pêcheurs
(Bou Haroun, appelé plus familièrement par les anciens européens, Boukaroun.
   

 


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