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Les tomes I et II de la saga, le songe assassiné


 

"Il n'a pas voulu que les gens, qui ont "fait" Chiffalo, sombrent, injustement, à jamais dans l'oubli."

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LA PECHE
Lucien Patania dans son très beau livre "Chronique d'un Itinéraire Singulier" nous conte, en spécialiste de la pêche qu'il est, l'importance de cette activité. -----Les pêcheurs de Chiffalo...avaient eu pour devanciers des Italiens qui, bien avant 1830, faisaient leur "saison", le long des côtes algériennes, sur des barques à rames et à voiles. Ils apportaient de leur pays du sel (pour la conservation du poisson) des vivres et du vin. -----Le port de Chiffalo comprenait une vingtaine de lamparos. C'étaient de longues barques d'une dizaine de mètres, de type italien, armées d'équipages de huit à dix hommes. -----La technique de pêche au poisson bleu avait donné son nom aux bateaux qui la pratiquaient ...La nuit venue, ceux-ci prenaient le large vers le centre de la baie. Lorsqu'ils arrivaient par fonds de 40 à 50 mètres, patrons et marins scrutaient les profondeurs. Quand ils voyaient scintiller des centaines d'éclats lumineux sous l'eau, le patron donnait l'ordre de stopper. -----Grâce au canot annexe " portelampe" , des milliers de sardines frétillantes étaient remontés dans la poche hissée à bras d'homme.Une cerne réussie pouvait s'élever parfois à plusieurs tonnes (6 à 8 tonnes) de sardines. -----Durant les mois d'été, les pêcheurs de Chiffalo s'adonnaient à la pêche à l'anchois " à la maille". -----A ces deux types de pêches classiques venaient s'ajouter des pêches épisodiques d'appoint : la pêche au "bardassoune" et celle au "batti-battue". On se reportera avec intérêt à l'ouvrage de Lucien Patania décrivant de manière très vivante tous ces types de pêche. -----Toute cette population laborieuse vivait exclusivement des produits de la pêche et traversait parfois de sombres périodes lorsque les bancs de sardines et d'anchois désertaient la baie ou qu'un temps peu clément sévissait pendant de longues périodes d'hiver, mises à profit pour l'entretien et la réparation des filets de maille et de lamparo.
Lucien Patania nous rappelle que l'une de leurs fiertés consistait à bien marier leurs enfants. Les mariages donnaient lieu à des pratiques originales. Les familles, même les plus humbles, n'hésitaient pas à s'endetter pour un mariage conforme aux traditions. Les filles étaient toujours pourvues d'un trousseau complet, préparé pièce par pièce, longtemps à l'avance, trousseau exposé à la curiosité du village. Elles devaient, par ailleurs, apporter en principe une maison dans la corbeille de mariage. Les cérémonies religieuses se déroulaient en grande pompe. L'hôtel Alexis, à Casti Plage, accueillait la suite fastueuse des familles et les nombreux proches invités. Ce village, exclusivement habité par des pêcheurs était bien connu pour sa dévotion à la vierge. Il faut rappeler la belle cérémonie de l'immersion de "Notre-Dame-de-la-Mer" dans une grotte, première chapelle sous-marine en Algérie qui abrite la statue, par dix mètres de fond, cérémonie qui eut lieu le 22 août 1954 sous la présidence de l'Archevêque d'Alger, en présence des autorités civiles et maritimes, de nombreuses personnalités politiques ...en mer, remorqueurs, vedettes, chalutiers, bateaux de pêche et de plaisance... et surtout grâce à la courageuse volonté des chasseurs sous-marins de Fort-de-l'eau. -----Un musulman déclara à cette occasion : "Si je suis ici aujourd'hui, c'est d'abord parce que Marie (Merryem), la mère de Jésus (Sidna Aïssa) est reconnue dans notre religion comme au-dessus de toute les femmes et que nos filles portent ce prénom... si je suis ici, c'est aussi parce que vous êtes mes frères qui défendez des principes de morale et de religion" ( Algérie Maritime de sept. 1954). Détail émouvant : " De nos jours, deux anciens pêcheurs chiffalotains ont appris que, chaque année des touristes français, adeptes de la pêche sous-marine, nettoient la Vierge qui brille, toujours aussi belle, dans les eaux chiffalotaines" (source http://alger-roi.net/Alger/villages/pages_liees/abc/chiffalo_pn74.htm)

NOTRE DAME DE LA MER (source http://www.alger-roi.net/Alger/chiffalo/textes/1_notre_dame_magazine2_1954.htm)
Le samedi 24 juillet 1954, fête de sainte Christiane, un correspondant de « L'Algérie Magazine Automobile « : Lucien Ressort, ingénieur de l'Institut Agricole d'Algérie, et le signataire de ces lignes, apportèrent le salut d'un ami à l'abbé Schiano, curé de Chiffalo
Nous venions de Castiglione, après visite de la station d'Aquiculture, où quelques pensionnaires de l'établissement furent photographiés. L'un et l'autre ne connaissions pas le curé de Chiffalo : présentations accomplies, l'invitation prévisible : «Et maintenant, le verre de l'amitié !
Des pêcheurs se joignirent à nous dans ce petit café parfumé d'iode et d'anisette. On parlait chaleur et pêche, santé et nourriture, bêtes, et plantes. On parlait de Jujube, le chien de Ressort, croisement d'un chacal (l'allure) et d'un plumeau (la queue), on parlait pour ne rien dire, on parlait par camaraderie.
Comment vint l'idée d'une statue sous-marine de la Vierge ?
Soudain, Lucien Ressort parla pour quelque chose :
- Quand verrons-nous une chapelle sous-marine de la Vierge en Afrique du Nord ?
-Pourquoi pas, ici, à Chiffalo ?
-Hélas ! répliqua l'abbé Schiano, ma paroisse n'en possède ni les moyens financiers, ni les moyens techniques.
-Seule objection ?
-Oui, mais d'importance.
-Pas pour nous... L'abbé, que diriez-vous de l'immersion de Notre-Dame de la Mer pour le 15 août ? « L'Algérie Magazine offrira la statue et organisera la manifestation.

Le curé de Chiffalo agréa, encore qu'il nous prit pour des exaltés inoffensifs. Sous notre ciel d'Algérie, par une chaude journée de juillet, que ne promet-on pas ? Le lendemain, l'abbé Schiano recevait confirmation par téléphone : notre directeur, Maurice Magnan, acceptait notre idée. Cette acceptation signifiait que tous les soucis financiers s'effaçaient. Interprète de beaucoup, je veux remercier notre patron d'avoir de suite dit oui à un projet téméraire.
L'abbé Schiano fut plus réservé : « Vous pensez absolument réussir... vous disposez d'un mois à peine... Et si ça ratait ?...
- Ça ne peut pas rater. Pour ma part, j'avais promis un ex-voto à la Vierge dans des circonstances douloureuses. Aujourd'hui, l'occasion m'est offerte de tenir promesse. Aussi, toutes mes forces seront-elles au service de la réussite de ce projet. Quel ex-voto plus magnifique qu'une statue « inédite » à Notre-Dame, Reine du Monde, donc Reine de l'immensité de la Mer ?
« Le comité d'organisation est constitué (L' Abbé Schiano, curé de Chiffalo; Maurice Magnan, directeur de l'Algérie Magazine Automobile ; Léon Cazzelles, rédacteur en chef ; Robert Couturier, rédacteur ; Lucien Ressort, ingénieur de l'institut Agricole d'Algérie.). Nos amis nous apporteront leur aide. Le succès est assuré.
- D'accord, allons-y ; seule objection : reculer la date au dimanche suivant, parce que le 15 août les pêcheurs de Chiffalo se rendent en procession à Notre-Dame d'Afrique.
- Entendu ; l'immersion de Notre-Dame de la Mer aura lieu le dimanche 22 août à Chiffalo. Néanmoins, la statue sera terminée le 15 août ; Monseigneur la bénira à Notre-Dame d'Afrique ; elle restera exposée une semaine sur le parvis de la basilique ; le samedi 21, elle prendra la route du littoral pour rejoindre Chiffalo, sa paroisse ; elle sera tractée par une puissante remorque décorée aux couleurs de la Vierge ; des centaines de véhicules l'escorteront ; la caravane occupera plusieurs kilomètres de route nationale ; un service d'ordre, en grande tenue, dirigera le convoi ; en mer, remorqueurs, vedettes, chalutiers, bateaux de pêche et de plaisance suivront l'itinéraire ; dans le ciel. des avions survoleront la caravane à faible altitude ; les localités traversées pavoiseront ; il nous faut encore des fanfares, des illuminations, des lâchers de ballons ; tous les journaux en parleront. aussi bien d'Algérie que de la Métropole ; la radio offrira ses antennes ; le cinéma gravera cette fête unique en Afrique du Nord ; nous déplacerons plusieurs dizaines de milliers de personnes. En un mot, une fête digne de la Vierge.
- Vous voyez grand...
De fait, on voyait grand... La réussite fut néanmoins conforme aux prévisions du pro-gramme.
Telle demeure l'origine de l'idée de l'immersion d'une statue de la Vierge au large de Chiffalo. Certains prétendirent que l'idée n'était pas aussi simple. Notre confrère « Dernière Heure » fit écho à ces farouches consciences ; nous en parlerons plus avant. La vérité historique est ainsi, n'en déplaise aux détracteurs ou aux névrosés ; Notre-Dame de la Mer demeure l'oeuvre de quatre hommes de bonne volonté, les quatre du comité d'organisation qui voulurent rendre un solennel hommage à la Mère du Dieu auquel ils croient.
Les pêcheurs de Chiffalo saluèrent notre projet avec enthousiasme. Eux-mêmes choisirent la grotte où se trouve Notre-Dame de la Mer, à quelques encablures de l'autre côté de la digue du petit port de pêche. Chaque fois qu'il sortent pour la pêche, précise l'abbé Schiano, ils passent dessus la Vierge et font une prière pour le succès de leur labeur. Cela permet de sanctifier leur travail.
Cette cavité se trouve à 30 mètres environ de la jetée du port et demeure à l'abri de la mauvaise mer.
La statue de Notre-Dame de la Mer de Chiffalo peut se voir, poursuit l'abbé Schiano. Sans compter les plongeurs sous-marins qui viennent tournoyer autour d'elle le dimanche, combien y viennent en pèlerinage. La statue, par temps calme et eau claire, se voit bien de la surface malgré les dix mètres de profondeur. Empruntant des barques au port. beaucoup vont prier au-dessus de Notre-Dame de la Mer. Tous les dimanches, des fleurs sont installées sur l'eau, à l'aide de lièges flottants, et maintenues sur les lieux par des grappins. D'autres se contentent de venir sur la jetée, de jeter des fleurs à la mer, et, s'agenouillant vers le large, de lancer leur prière. »
Notre camarade Claude Brunet publiait un article en exclusivité sur Notre-Dame de la Mer à Chiffalo, dans la « Dépêche Quotidienne » du 12 août, illustré, entre autres, d'une photo de la glaise de la statue de Geneviève Courtot. La toute première silhouette de Notre-Dame de la Mer que nous-mêmes ayons vue.
Ce jour-là, dès qu'ils ouvraient la « Dépêche Quotidienne « et remarquaient la photo, les pêcheurs de Chiffalo embrassaient l'exemplaire à l'emplacement du cliché. Inutile de spécifier que le contingent habituel de journaux fut insuffisant dans toute la région. Plus un exemplaire sur tout le littoral. Une voiture partie de Chiffalo alla demander aux bureaux d'Alger des journaux... Mlle Geneviève Courtot, auteur de Notre-Dame de la Mer, a, sans conteste, démontré son talent. Mlle Geneviève Courtot n'a que 23 ans et se réclame des Beaux-Arts d'Alger. Parmi toutes les maquettes présentées, nous avons retenu la sienne parce qu'elle reflète une authentique inspiration. Les lignes de la statue sont très simples pour une raison péremptoire : faune et flore sous-marines s'incrusteront sur la statue, d'ici quelques mois, et modifieront la silhouette de l'oeuvre. Or, la statue immergée au large de Chiffalo prendra précisément tout son relief par ces incrustations de coquillages et d'algues ; de même qu'elle fut traitée pour être vue à la verticale. Ce n'est pas une statue de Saint-Sulpice que nous voulions, mais une oeuvre originale.
[...]
La mer tourmentée tout le jour s'était calmée ; le Saint-Louis, remorqueur de haute mer, actionna sa sirène ; l'Ombrine de la Marine Nationale lui répondit ; les milliers de spectateurs, massés sur la jetée de Chiffalo, s'étaient tus. Un avion de l'Aéro-Club de l'AIA, volant à une cinquantaine de mètres d'altitude, largua une gigantesque gerbe aux couleurs de la Vierge offerte par la maison Franco. Le pilote était M. Courtois, mécanicien diéséliste de Maison-Carrée. Des mouettes, rougeoyantes sous le soleil couchant, rendaient, peut-être elles aussi, hommage à la Mère du Créateur.
Alors, Monseigneur entonna le « Magnificat » repris par tous ceux qui se trouvaient là, tandis que, par 10 mètres de fond, les plongeurs du Harpon Club Aquafortain scellaient la statue sur son socle de deux tonnes. Seules, quelques bulles d'air remontant à la surface indiquaient le dur travail de la valeureuse équipe, la visibilité sous-marine très mauvaise ce jour-là interdisant toute observation depuis les bateaux.
Puis, ce furent quelques Ave Maria pour ceux qui moururent en mer... Puis d'autres pour les intentions particulières de chacun. Tous les bateaux accomplirent alors un tour d'honneur au large de Chiffalo jusqu'à Bou-Haroun. J'étais adossé au mât du Saint-André qui ouvrait la procession. Le vent frappait les drapeaux et oriflammes, quel­ques dernières vagues de fond hissaient le bateau au-dessus de la ligne d'horizon com me pour lui rendre hommage d'avoir trans­porté la statue de Notre-Dame de la Mer. Dans le doute, la tristesse ou le chagrin, je me souviendrai que j'ai vécu ces heures merveilleuses. Notre-Dame de la Mer aura apporté d'autres joies à beaucoup d'autres.

Plus de détails accompagnés de photographies sur le site (source http://www.alger-roi.net/Alger/chiffalo/textes/1_notre_dame_magazine2_1954.htm)

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