-----Situé à 50 km d'Alger, Chiffalo, petit village de
pêcheurs, regroupe environ une centaine d'habitations s'étendant tout le long
de la côte turquoise. Chiffalo est accessible par une petite route qui descend
de la nationale reliant Alger à Tipasa. La première bâtisse qui
apparaît à l'entrée du village est l'église ; son clocher s'élève majestueusement.
Cette maison de Dieu a pu être réalisée financièrement grâce à la contribution de
la population entière. -----Tout près, sur la place, un monument en mémoire
de ses morts (39-45) en a fait la fierté de ses habitants en majorité des Siciliens. -----Les
premiers Siciliens sont arrivés, avec d'autres races diverses (Juifs, Espagnols,
Français, etc ...) sur le sol d'Algérie vers 1872. Pour certains parfois non sans
équivoque. Ainsi, les anciens aiment à conter l'anecdote survenue à un des leurs
: «Comment vous appelez-vous ? avait demandé le responsable du service d'immigration
à l'inconnu qui se présentait devant lui à Alger. - Chiffalo. - Et d'où
venez-vous ? - Chiffalo. - Et où allez-vous ? - Chiffalo.» -----Le
responsable était persuadé que l'homme, un Sicilien, n'était pas encore familiarisé
avec la langue française. En réalité, il s'appelait bien Chiffalo, il venait bien
de Chiffalo (Cefalù à 40 km de Palerme), il allait bien à Chiffalo nous conte
F.J Lucca. La Sicile -----Ils
ont abandonné leur village natal :Cefalù, Partinico, Isola DelleFemmine, Capaci,
etc..pour s'établir sur une terre inconnue, l'Algérie, encore à l'état sauvage,
afin de recommencer une nouvelle vie, dans l'espoir qu'elle serait meilleure poursuit
F-J Lucca dans Adieu Chiffalo ! -----Un courage sans limite et une volonté de vaincre,
pour certains, la misère facilitèrent leur audacieux projet. -----Au
début, cette nouvelle vie ne leur apporta que travail rude et abstinence de tous
désirs ; mais ils persévérèrent et aboutirent à la valorisation de terres jamais
foulées. Puis plus tard, ils entreprirent eux-mêmes la construction de leur maison,
en prenant modèle sur l'architecture sicilienne. Ils bâtirent un port pour protéger
"leur gagne-pain", les longs lamparos de la mer quand elle aimait à se mettre
en colère. Ils surent garder modes et traditions de leur ancienne patrie et surtout
conserver une grande solidarité entre eux. -----Ils
furent enfin récompensés car ce nouveau pays leur procura respect et prospérité
mais bien souvent, il est vrai au prix de vies humaines. -----Ils
ont su, ainsi, mieux que quiconque, mériter leur nouvelle patrie. La
pêche -----Lucien Patania dans
son très beau livre "Chronique d'un Itinéraire Singulier" nous conte, en spécialiste
de la pêche qu'il est, l'importance de cette activité. -----Les pêcheurs de Chiffalo...avaient eu pour devanciers
des Italiens qui, bien avant 1830, faisaient leur "saison", le long des côtes
algériennes, sur des barques à rames et à voiles. Ils apportaient de leur pays
du sel (pour la conservation du poisson) des vivres et du vin. -----Le
port de Chiffalo comprenait une vingtaine de lamparos. C'étaient de longues barques
d'une dizaine de mètres, de type italien, armées d'équipages de huit à dix hommes. -----La
technique de pêche au poisson bleu avait donné son nom aux bateaux qui la pratiquaient
...La nuit venue, ceux-ci prenaient le large vers le centre de la baie. Lorsqu'ils
arrivaient par fonds de 40 à 50 mètres, patrons et marins scrutaient les profondeurs.
Quand ils voyaient scintiller des centaines d'éclats lumineux sous l'eau, le patron
donnait l'ordre de stopper. -----Grâce au canot
annexe " portelampe" , des milliers de sardines frétillantes étaient remontés
dans la poche hissée à bras d'homme.Une cerne réussie pouvait s'élever parfois
à plusieurs tonnes (6 à 8 tonnes) de sardines. -----Durant les mois d'été, les pêcheurs de Chiffalo
s'adonnaient à la pêche à l'anchois " à la maille". -----A ces deux types de pêches classiques venaient
s'ajouter des pêches épisodiques d'appoint : la pêche au "bardassoune" et celle
au "batti-battue". On se reportera avec intérêt à l'ouvrage de Lucien Patania
décrivant de manière très vivante tous ces types de pêche. -----Toute
cette population laborieuse vivait exclusivement des produits de la pêche et traversait
parfois de sombres périodes lorsque les bancs de sardines et d'anchois désertaient
la baie ou qu'un temps peu clément sévissait pendant de longues périodes d'hiver,
mises à profit pour l'entretien et la réparation des filets de maille et de lamparo. Les
traditions -----Ils bâtirent un
port et construisirent une école grâce à des dons de leur communauté et de leurs
parents, partis en Californie (à Monterey) pêcher la sardine et le thon. Du fait
de sa longueur, l'école semble scinder le village en deux. Ils mirent toute leur
foi dans la réalisation de cet ouvrage, pour espérer que leurs enfants aient une
meilleure formation qu'eux-mêmes afin de leur éviter les conserves ou de salaisons
créant ainsi de nombreux emplois. Elles furent nationalement connues comme "Papa
Falcone". Ces offres d'emploi attirèrent petit à petit beaucoup d'arabes du sud
de l'Algérie et même du Maroc. -----Confiants en
ces hommes de race blanche, ils les ont côtoyés et créé mutuellement des amitiés. -----Néanmoins, leur mode de vie différente de la leur,
les força à se tenir éloignés du village, pour vivre sans gêne. -----La
communauté arabe comprend une cinquantaine de familles. Elle est installée à 200
m de la dernière habitation qui fait partie des douze maisons de "derrière l'école". -----Les
Chiffalotains formaient une communauté très particulariste. Loin de leur île,
ils conservaient cependant jalousement leurs coutumes sur la terre africaine. |
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-----Lucien Patania nous rappelle que l'une de leurs
fiertés consistait à bien marier leurs enfants. Les mariages donnaient lieu à
des pratiques originales. Les familles, même les plus humbles, n'hésitaient pas
à s'endetter pour un mariage conforme aux traditions. Les filles étaient toujours
pourvues d'un trousseau complet, préparé pièce par pièce, longtemps à l'avance,
trousseau exposé à la curiosité du village. Elles devaient, par ailleurs, apporter
en principe une maison dans la corbeille de mariage. Les cérémonies religieuses
se déroulaient en grande pompe. L'hôtel Alexis, à Casti Plage, accueillait la
suite fastueuse des familles et les nombreux proches invités. Ce village, exclusivement
habité par des pêcheurs était bien connu pour sa dévotion à la vierge. Il faut
rappeler la belle cérémonie de l'immersion de "Notre-Dame-de-la-Mer" dans une
grotte, première chapelle sous-marine en Algérie qui abrite la statue, par dix
mètres de fond, cérémonie qui eut lieu le 22 août 1954 sous la présidence de l'Archevêque
d'Alger, en présence des autorités civiles et maritimes, de nombreuses personnalités
politiques ...en mer, remorqueurs, vedettes, chalutiers, bateaux de pêche et de
plaisance... et surtout grâce à la courageuse volonté des chasseurs sous-marins
de Fort-de-l'eau. -----Un musulman déclara à cette
occasion : "Si je suis ici aujourd'hui, c'est d'abord parce
que Marie (Merryem), la mère de Jésus (Sidna Aïssa) est reconnue dans notre religion
comme au-dessus de toute les femmes et que nos filles portent ce prénom... si
je suis ici, c'est aussi parce que vous êtes mes frères qui défendez des principes
de morale et de religion" ( Algérie Maritime de sept. 1954). Détail
émouvant : " De nos jours, deux anciens pêcheurs chiffalotains
ont appris que, chaque année des touristes français, adeptes de la pêche sous-marine,
nettoient la Vierge qui brille, toujours aussi belle, dans les eaux chiffalotaines" Le
sport -----Chiffalo était le centre
qui fournissait de solides recrues à l'Olympique du Littoral (L'OL) qui regroupait
les meilleurs joueurs de football de Castiglione, Chiffalo, Bou-Haroun. L'une
d'elles : Fanfan Mercurio se révéla le meilleur attaquant de la région. C'était
encore une localité où la pratique du jeu de boules occupait les quelques loisirs
des pêcheurs. Une fameuse triplette faisait les beaux jours des organisateurs
de concours de boules des environs. Son chef de file, Allegreto, dit "Canard",
poissonnier, tieur très adroit et fin tacticien, régnait sur un étonnant duo :
le pointeur "Simin", malmené par la nature, tout en contorsions, comédien achevé,
et le milieu Macaluso, dit "Macalous" lui aussi poissonnier, figure emblématique
de Chiffalo. Dès que cette triplette burlesque figurait dans un concours, sur
les stades, les places, les allées, les spectateurs accouraient en masse applaudir
à ses exploits. Au cours des parties, se déroulait alors un manège digne de la
commedia dell'arte : "Canard" feignait de sermonner Simin pour une boule manquée,
l'accusant de précipitation et de maladresse... Celui-ci, en cachette, lui adressait
force grimaces et singeries, pendant que Macalous (qui en rajoutait) pestait contre
ses deux partenaires qui n'arrêtaient pas de s'apostropher. La galerie, "aux anges",
se tordait ! L'équipe adverse, même supérieure, tombait souvent dans le panneau
et finissait par perdre sa concentration, à la plus grande joie de Simin qui redoublait
de contorsions et de grimaces. Hypocritement, Macalous s'indignait de ses facéties
...Finalement, "Canard" sortait, la plupart du temps, vainqueur de ces joutes
théâtrales ! Cette triplette representera l'Algérie, à Marseille, au "Championnat
de France au jeu Provençal". Mais Chiffalo avait de la ressource, une autre triplette
composée de Erasme Lucca, Jean Allegretto et toujours Macalous devinrent champion
de l'algérois en 1959 et participèrent au championnat de France à Perpignan toujours
en 1959. -----Qu'il faisait bon vivre à Chiffalo
! Adieu Chiffalo ! J-M L -
La phrase citée en titre est tirée d'un vers du poème " Mirage" extrait de " Le
Bruit du silence" de Rose-Claude Mercurio-Baysset. - Deux ouvrages recommandés -----Lucien
Patania "Chronique d'un Itinéraire Singulier" chez l'auteur Lucien Patania St-James
bât D 1005 Rocade Font de Fillol - 83140 Six-Fours-les-plages au prix, port compris,
de 125 F. -----et Joane de Céfalu " Adieu Chiffalo,
Village français d'Algérie" chez François-Jean Lucca Mas
Ludachrije 3, allée de l'Amélo 13470 Carnoux-en-Provence au prix, port
compris, de 100 F.
Chiffalo, mon village... Chiffalo,
Chiffalo, pays de ma jeunesse, Combien je pense à toi, du fond de ma détresse
! Tu étais bien ancré sur ton noble rivage Et la mer caressait ton souriant
visage. Par "grégale" ou " bafagne", les vagues déferlantes Venaient éclabousser
les murs de ma maison. Et les bateaux de pêche avec leur cargaison Se
hâtaient vers le port en courses trépidantes. Où s'en est-il allé, l'appel
de tes sirènes Convoquant aux usines pour traiter le poisson, Ramené du
grand large dans une ample moisson? O mer miraculeuse, dont la sardine est
reine ! J'ai toujours dans le coeur le tintement des cloches Invitant tes
pêcheurs à célébrer leur Dieu, Et du jour de Saint-Pierre un souvenir très
pieux. Hélas ! qu'est devenue ma vie qui s'effiloche ? Fanfan Mercurio grégale : vent du Nord-est,
ressemblant au mistral. bafagne : vent chaud du sud-ouest.
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